Partie 1/3
Tout d'abord, je dois dire que ça aura probablement été mon aventure d'une journée la plus demandante au niveau physique et mental. Dans une température ressentie avoisinant les -40 degrés dû au taux d'humidité, j'aurai fait plus de 33km de prospection sur les sommets de différentes montagnes, dans une période condensée de 14h de terrain en raquette.
J'ai adapté mon cycle de sommeil 2 jours à l'avance pour pouvoir me réveiller vers 20h la veille dans le but de partir à 2h00 du matin en top forme. J'ai donc pu "dîner" vers 23h et manger à nouveau vers 1h30am juste avant le départ. Les conditions s'annonçaient difficiles étant donné la neige qui était tombée durant les derniers jours. Je m'attendais donc à devoir ouvrir mon chemin tout au long de l'aventure. 🏔
Ça faisait déjà 3 mois que je n'avais pas vu de caribous, alors j'avais pour but de prospecter le terrain pour comprendre leurs déplacements actuels dans leurs différents secteurs hivernaux. Je voulais aussi voir comment se portait la dizaine d'individus que je suis depuis 3 ans. J'ai eu l'extrême agréable surprise de voir un peu moins de 25 caribous dont un troupeau de 19 individus. Dans ce troupeau se trouvait 5 jeunes en pleine forme (celui de la photo est un des 5 jeunes et l'autre à l'arrière en bas à gauche en est un deuxième). Un de ces petits appartenait d'ailleurs à une femelle qui avait donné naissance au seul petit du troupeau il y a 2 ans. De voir 2 jeunes caribous de la Gaspésie sautiller, gambader et se chamailler m'a donné une sensation... vraiment, mais vraiment difficile à exprimer. Un moment qui a eu un impact énorme dans ma tête et dans mon coeur. Connaissant la situation plus que précaire de ce cervidé gaspésien, j'étais émerveillé certes, mais surtout très très ému.
Cette observation m'aura amené au deuxième, au troisième et à un autre type d'effort que je n'avais jamais eu à utiliser auparavant. C'était la première fois que j'avais une certaine crainte. Ça m'aura également coûté quelques brûlures au nez et à la joue et plusieurs autres douleurs que je ressens encore très bien aujourd'hui, mais peu importe. J'ai pu observer un moment très positif et très encourageant pour ces caribous montagnards.
Partie 2/3
Alors il est 3h00am, j’enfile mes raquettes et je pars. Bien que le vent ne soit que très peu présent, l’humidité et le froid se font très très bien ressentir. Dans mon sac, j'ai, entre autres, mon D500, mon D7200, ma 300 2.8, ma 70-200 2.8, mon 1,4x, mon méga trépied et plusieurs autres couches de linge.
Vers 3h30, j'ai pu observer mon premier visiteur : une Gélinotte Huppée. Quand tu es dans le noir, sans vent et qu'elle décolle juste à côté de toi, tu as une petite sensation au coeur qui fait le saut !
Vers 6h30, les arbres sont de plus en plus enneigés à mon grand plaisir. La température est à son minimum et la petite neige qui tombe devant ma lampe frontale m'apparaît comme un beau diamant.
À 8h00, le sommet est atteint. Malgré le -40, il faut que je change mes vêtements étant donné les possibles heures d'affût que j'ai devant moi. J'ai les sourcils, les cils, la moustache, la barbe et les cheveux bien gelés, mais je n'ai pas le choix j'enlève tout sauf ma première couche et je remplace par du nouveau linge bien sec. Ça aura été une petite minute de congélation, mais très rapidement je me suis tempéré. Je me sentais sec et prêt à commencer la prospection des caribous. ❄️
La neige est étonnamment bien présente sur le sommet. Chaque pas est demandant, mais j'avance et la visibilité est excellente donc je peux repérer les signes sur plusieurs kilomètres. Vers 9h30 je repère mes 4 premiers caribous, mais ils sont loin. Se rendre à eux demanderait une marche de plusieurs kilomètres et la montée d'une deuxième montagne. Je décide donc d'attendre. Quelques dizaines de minutes plus tard, ils se déplacent tous vers le sud-ouest en direction de la forêt mature. Je comprends donc qu'ils sont en déplacement. Je décide alors de continuer à prospecter d'autres secteurs dans le but de comprendre les déplacements des caribous. En me fiant à mes observations des années antécédentes, je sais qu'il devrait y avoir une quinzaine de caribous quelque part dans ce 25 km carré.
C'est tellement exigeant qu'à 10h15, après avoir quasiment redescendu une montagne, j'ai eu cette petite voix d'abandon qui est venue me jouer dans la tête. Je m'arrête, je pense, je pense encore et encore. Je regarde la condition de mon matériel, de mes mains, de mes pieds, de ma tête et surtout de mon mental... Je décide de continuer. Je marche, je marche encore et encore. Ça fait maintenant plus de 25 kilomètres dans la grosse neige et la température froide, mais je n'ai toujours pas vu le troupeau.
C'est vraiment difficile parce que j'ai de moins en moins d'énergie. Il est maintenant 13h. Ça fait 10h que je marche sur différents sommets dans des conditions particulièrement difficiles et je n'ai toujours pas eu le privilège d'avoir une observation de qualité et donc pas une seule photo.
Partie 3/3
Alors voilà il est maintenant 13h. Ça fait déjà plus de 10h que je marche en montagne à la recherche de signes de caribous. La marche n'est pas facile, alors il va de soi que, malgré le -40, j'ai chaud. C'est la que ça devient un peu compliqué parce que je dois toujours gérer mes vêtements en fonction d'un possible 2-3h d'affût sans bouger. Pour le moment, je suis bien confortable dans mon gros duvet, mais c'est au niveau des mains et des pieds que c'est un peu plus difficile. C'est un drôle de mélange parce que j'avais chaud, froid et je sentais plus ou moins mon visage. Un drôle de feeling, mais définitivement un feeling que j'aime beaucoup expérimenter.
Vers 13h15, je montais le flanc d'une montagne et arrivé au sommet, je crois voir des silhouettes de caribous. Je regarde de plus près et je "capote ben raide"... À mon premier décompte, il y en a 17 ! À vol d'oiseau, ils sont à environ 1km. En pensant au chemin à prendre, je réalise qu'il faudra descendre dans la forêt mature à 400m plus bas et remonter ce 400m. Malgré l'énergie qui n'est plus vraiment au rendez-vous, il n'y a absolument aucun doute que j'y vais. Je regarde attentivement l'endroit où il se trouve et la manière que je pourrais faire mon approche. Mon plan de match est pas mal fait alors je m'enfile un sac de bonbons au complet (ça aura fait la job en titi ! Merci bonbons) et je m'enligne.
En arrivant à leur hauteur, la température avait changé. Desfois c'était lumineux, desfois il neigeait, des fois je voyais rien, bref c'était assez spécial. J'approche doucement et je vois très bien la silhouette d'un des caribous ! Je suis très très heureux parce que je sais donc qu'ils sont encore là. C'est là que l'approche délicate commence. Je me sers le plus possible de l'environnement tout en observant les caribous pour comprendre leur état d'esprit actuel. J'essaie aussi de repérer les individus que je devrai convaincre en premier que ma silhouette au travers des arbres n'est pas menaçante.
Je suis maintenant à environ 150m d'eux et ils sont de toute beauté. À ce stade, il y a seulement 1 caribou sur les 17 qui semble encore se questionner de ma présence. Même si je dois continuer de bouger parce que j'ai froid, je me mets en petite boule avec les genoux au sol et j'en profite pour mettre mes mains sous mes aisselles pour les réchauffer. Je suis avec ma 300mm et j'aimerais vraiment mettre mon teleconverter 1,4x pour me rendre à 420mm, mais je manque de jus et j'ai trop peur de prendre froid. Il aurait aussi fallu que je gère la neige pour qu'elle ne rentre pas dans ma caméra. Bref, j'y vais avec ce que j'ai.
Quelques minutes plus tard, je suis toujours en position accroupie et je vois que les caribous semblent curieux de quelque chose. Je ne savais pas si c'était moi ou quelque chose d'autre jusqu'à temps que je me vire de côté. À ma grande surprise, 2 caribous sont juste-là ! À environ 10 mètres. C'est une belle maman avec son petit. Bien que j'aurais voulu prendre une photo, je fais le mort pour comprendre ce qui se passe en premier lieu. La mère et son petit voulaient clairement aller rejoindre le troupeau de 17, alors je savais que ma position était correcte pour eux. Quelques secondes plus tard, ils parcouraient les 150m qui les séparaient du troupeau, bien relax.
Ce contact inusité m'aura permis de continuer mon approche pour finalement être à une bonne distance d'observation pour différencier chacun des individus. De les voir s'alimenter était absolument merveilleux. J'ai pu rester stationnaire pendant de longues minutes pendant que les caribous bougeaient aux alentours pour aller à différents endroits d'alimentation. Plusieurs se sont même approchés par curiosité. Ça m'a rappelé mon observation de l'été passé où un jeune mâle avait parcouru plus de 200m pour venir s'approcher à quelques mètres seulement. C'était capoté.
Environ 1h plus tard, j'ai pu prendre des photos d'identification des 19 individus et quelques photos un peu plus artistiques pour un total de 1300 photos. La première fois que j'ai mis mon oeil dans le viseur, je me suis automatiquement brûlé le nez et le haut de la joue droite. Le contact de ma peau avec le boitier de métal complètement gelé en aura été la cause. C'était comme évident, mais rendu là dans ma journée, je ne pensais plus tellement clair. Il y a aussi ma vue qui était un peu bizarre. Je n'arrivais même pas à voir si mon focus était sur le caribou ou non. Je voyais comme pas clair. Bref, c'est après ça que le summum de la magie s'est produit.
Il y a une des 5 mamans qui a décidé de s'en aller un peu plus loin. Elle a décidé de s'en aller directement par où je suis arrivé. Son bébé aimait bien se chamailler avec un autre et cet autre bébé a décidé de suivre la maman et son bébé qui quittait vers un autre secteur. Rapidement, la maman de ce bébé qui suivait une autre maman s'est mise en alerte. D'un pas décidé, elle se dirige vers son bébé. À ce moment, les 15 autres caribous ont tous regardé dans la direction des 2 mamans et 2 bébés pour comprendre ce qui se passait. J'ai été pris par surprise parce que j'arrivais de là et je ne m'attendais pas à ce que ces caribous pourraient puissent mes traces. Les 15 caribous ont regardé dans ma direction et j'ai compris que je devais reculer.
Je me suis donc reculé très doucement de plusieurs mètres et c'était suffisant pour que les caribous passent devant moi à la queue leu leu pour aller rejoindre les 2 mamans et 2 bébés. C'était capoté parce qu'ils passaient là devant moi sans le moindre stress pour aller rejoindre les autres. J'en revenais tout simplement pas. En plus d'avoir réussi un super contact sans stress, ils avaient assez confiance pour passer juste à côté et de reprendre mes traces pour aller dans l'autre secteur.
Éric D
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